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qui surprend d'abord, mais auquel on s'habitue, et qui plaît même à la fin. Elle est volontiers convertisseuse, sans aimer à faire des sermons pourtant. Elle n'est ni doctoresse ni pédante à la manière des misses presbytériennes; elle est pour cela trop du pays de madame de Sévigné. Comme celle-ci, elle lit les théologiens et les philosophes, mais elle se garde bien de répéter leurs formules et d'user de leur jargon, il lui semblerait s'affubler d'habits d'hommes. Je déteste les femmes en chaire, dit-elle quelque part. Elle n'a rien de commun avec la femme supérieure. Pour elle, comme pour la plupart des femmes vraiment féminines, ces grandes penseuses, qui montrent un génie presque viril, sont des êtres hybrides plus étonnants que sympathiques. Sentiment assez souvent partagé par les hommes eux-mêmes. Les Corinnes et les Lélias paient la gloire à ce prix elles deviennent des sphinx pour les deux sexes. Rien que l'idée d'une telle métamorphose eût été horrible à Eugénie de Guérin. En cela elle est restée féminine et virginale, jusqu'aux bouts des ongles, et s'est méfiée toute sa vie de l'entraînement du talent. Peut-être un secret désir de plaire se mêlait-il à cette retenue; mais le désir de plaire, dans la femme, qu'est-ce au fond, que ledésir d'être vraiment femme?

Or la femme, la plume à la main, n'est jamais plus et mieux femme que dans ses lettres, c'est à dire individuelle avec modestie, et naturelle avec grâce et finesse. C'est ce caractère feminin de personnalité aimable et de spontanéité mesurée qui fait le charme toujours vivant de tant de recueils de lettres de femmes d'esprit et de coeur. Et celle qui plaît le plus parmi cette élite, c'est aussi la plus femme de toutes: c'est la toujours jeune, aimante et spirituelle marquise de Sévigné. Une de celles au contraire qui perd le plus de jour en jour en attraits, c'est aussi celle dont le sexe est le plus douteux: c'est la profonde Rahel, qui pense et veut penser comme un homme, avec les nerfs de femme les plus inquiets et les plus agacés, et qui nous donne ainsi le spectacle trop souvent agaçant de deux natures inconciliables se débattant dans la même personne.

Eugénie de Guérin a sa place marquée entre les épistolières illustres; et au milieu de ces grandes mondaines, sa figure à part de vestale et de solitaire, sérieuse sous un air candide et

enjoué, n'a point trop l'air dépaysé; on voit à la tenue et à la sûreté du coup d'oeil quelle est aussi de leur monde. Sa correspondance moins prisée jusqu'ici que son journal nous paraît digne d'être mise sur le même rang. Le journal d'ailleurs rentre lui-même dans le genre épistolaire: c'est une longue lettre écrite à l'avance. Mais cette avance y laisse parfois trop de loisir à la réflexion et à un certain raffinement. La correspondance, écrite toute de jet, est exempte de ce léger défaut. Il 'est vrai que par la même cause elle est moins riche aussi de pensées et de tableaux, mais la personnalité toute pure s'y prononce plus nettement et plus franchement dans les dialogues divers où elle est engagée. Il ne faut chercher du reste dans ce journal ni dans ces lettres rien qui rappelle le genre d'intérêt de la correspondance des femmes célèbres. Eugénie de Guérin n'a pas été de son vivant une célébrité entourée et répandue. Elle n'a connu que de loin, et en passant, la vie d'une capitale. Les causeries des salons à la mode, les conversations des cercles diplomatiques et littéraires, la fréquentation et l'influence personelle des hommes de génie et de marque lui sont restées presque absolument étrangères. On ne trouve chez elle ni anecdotes, ni portraits, ni récits bien caractéristiques de son temps. Son existence s'est écoulée presque tout entière à la campagne, dans un cercle restreint de parents et d'amis. Son monde extérieur est donc très-limité et des moins variés. Mais sa vie intérieure n'en est que plus originale et pleine d'une abondance de source vive. Pour cette source inépuisable du cœur et de l'esprit, on peut la comparer à Mme de Sévigné; en mettant à part bien entendu certains côtés de la femme faite et de la grande dame. Mme de Sévigné, comme on sait, est la personnification même de l'amour maternel. Eugénie est une Sévigné fraternelle; une Sévigné juvénile un peu ermite, un peu poëte, un peu sauvage; avec un coeur de fille et de soeur tel que Mme de Sévigné eut un coeur de mère, le plus aimant, le plus prodigue de dévouement, le plus ingénieux en expressions de tendresse et d'attachement. Son frère Maurice est son tout, comme pour Mme de Sévigné sa fille. Ou plutôt, pour ne pas faire d'elle ce qu'elle appellerait une idolâtre, son tout c'est Dieu avec Maurice et Maurice en Dieu. Maurice et Dieu, voilà les deux noms qui reviennent

à toutes ses pages. Au premier abord cela peut sembler monotone, mais il faut y regarder de plus près. Combien de gens aussi trouvent Mme de Sévigné monotone, parce qu'elle ne parle que de sa fille et ramène tout à sa fille. Ceux-la oublient que le cœur ne craint pas comme l'esprit de se répéter. Il a beau redire la même chanson, ce n'est jamais sur le même air. Pour bien goûter de tels recueils, il faut prendre chacune de ces lettres comme une sorte de Kaleidoscope, par lequel on ne verrait toujours qu'un nombre limité d'objets, mais à chaque tour sous des aspects et des couleurs différentes, selon l'humeur et l'entrain du moment.

Il ne faut pas trop appuyer sur cette comparaison entre Mme de Sévigné et Eugénie de Guérin, mais il est certain qu'une sorte de parenté existe entre elles. Les amis d'Eugénie l'appelaient en plaisautant la femme du dix-septième siècle, et elle semble en effet avoir des affinités avec les esprits les plus distingués de ce noble temps. Elle vit dans leur compagnie. Bossuet, Pascal, Fénélon sont ses maîtres. Elle se fait encore du monde, de la religion et de la société la même idée qu'ils s'en faisaient. De là aussi sa sécurité d'esprit. Si tout est mis en question autour d'elle, rien pour elle n'est mis en doute. Elle n'est point du reste arriérée par ignorance. Elle a lu avec son frère plus d'un livre moderne: Chateaubriand, Mme de Staël, Lamennais et des fragments de littérature ou de philosophie traduits de l'allemand et de l'anglais, et quelque chose lui en est resté dans sa direction littéraire; mais par la direction morale et spirituelle, elle est toute du siècle classique. Et en cela elle n'est pas nn phénomène isolé. L'esprit du dix-septième siècle a eu le don de s'immortaliser dans une forme parfaite et sa tradition se perpétue par son style, parallèlement, et en opposition souvent victorieuse avec l'esprit moderne, dans les groupes et les cercles épars qui se sont reforinés des débris de l'ancienne société. Dans ce monde à part, l'histoire universelle est encore envisagée au point de vue de Bossuet, et tout s'y mesure et s'y juge à l'avenant. La forme ici fait encore valoir le fond. C'est une de ces anomalies de l'esprit français que les étrangers ont peine à s'expliquer. Il serait cependant facile, sans aller jusqu'en Chine, de trouver quelque chose de semblable à peu près

partout, seulement sous des formes moins choisies. C'est toujours le parallélisme de l'ésprit de tradition d'un côté, et de l'esprit d'indépendance de l'autre, qui divise partout, comme en deux camps, la société européenne toute entière. Ce parallélisme et ce contraste, nous les retrouvons ici dans le frère et la sœur. Maurice a été élevé dans les mêmes principes que sa sœur, qui sont ceux de toute la famille, et il ne les abandonne jamais bien définitivement ni bien résolument. Mais l'esprit nouveau l'a touché; il se laisse aller à la dérive de l'autre côté. Bientôt il s'inquiète, il regarde en arrière, il a perdu sa route. Eugénie le rappelle, lui montre le chemin du retour et finit par le ramener au bercail; mais elle ne l'y ramène que mourant et pour l'ensevelir.

Maurice, comme nous le savons dejà, est essentiellement contemplatif et passif. Eugénie, avec le même penchant à la contemplation, est essentiellement active et riche d'initiative et de volonté. Maurice se laisse aller, devenir, porter voluptueusement par la vie; il suit l'attrait du moment, en véritable enfant de la nature, mais en enfant insatiable, curieux de tous les mystères et rêvant toujours à ce qu'il ne peut comprendre. Eugénie prend la vie en chrétienne, comme une tâche sacrée, dont il faudra rendre compte; elle voit en tout le devoir et cherche partout le salut. Du reste, tout plaisir permis la trouve sensible; mais elle jouit de tout sans appuyer, en regardant toujours plus haut. Elle est curieuse aussi de savoir, mais elle se rappelle le péché d'Eve, et pour explication à tout ne veut que Dieu. Ils ne savent pas être heureux, dit-elle, ceux qui veulent tout comprendre. Pour elle tout vient de la Providence, sa main est partout, la raison de toute chose, grande ou petite, est en elle. Partout et toujours, elle voit Dieu présent à l'œuvre et à l'entretien de la création. Le problème du monde ne l'inquiète pas autrement. On appelle cette façon de voir primitive et naïve d'un gros mot philosophique: anthropomorphisme. Quelques philosophes qui y ont regardé de près, avouent cependant, à l'avantage des naïfs, que lorsqu'il veut concevoir le monde, son principe et sa fin, s'en former une idée générale, l'homme ne saurait faire autre chose que de l'anthropomorphisme, c'est-à-dire reproduire son propre esprit, qu'il

procède naïvement ou méthodiquement. Ce ne serait qu'une question de condensation ou de raréfaction, dick oder dünn. La simplicité des croyances d'Eugénie ne doit donc point aux yeux d'un lecteur intelligent rapetisser son esprit. Plus d'un homme de tête, fort capable de subtiliser s'il le voulait, préfère ainsi souvent s'en tenir à l'enseignement du catéchisme. En somme, pour celui qui doit faire de la vie une action et non pas seulement une contemplation, réduire la nature et Dieu à la mesure de la raison vaut toujours mieux que de perdre la raison en Dieu ou dans la nature, en pensant identifier la raison humaine à la raison des choses ou à la raison éternelle, comme cela arrive aux panthéistes, naturalistes ou idéalistes, et comme cela faillit arriver au frère d'Eugénie ainsi que nous le verrons tout à l'heure.

Eugénie de Guérin est ardente chrétienne et zélée catholique, et le Catholicisme peut-être fier d'elle, car il a eu grande part à son éducation. Si le Protestantisme est par excellence la religion de la famille, dont ses pasteurs mariés donnent le modèle, le Catholicisme, son histoire et toute son organisation le prouvent, le Catholicisme est la religion du célibat, et par la confession il est avant tout la religion des femmes. Autant la confession est funeste à la famille, où elle introduit une autorité étrangère, autant cette institution peut-être bienfaisante pour les individus isolés, mais surtout pour les âmes féminines, veuves ou délaissées. Dans la famille protestante, la sincerité chrétienne, l'habitude de la verité jusqu'à la naïveté remplace pour ainsi dire, et avec avantage, la confession, et mieux que celle-ci elle forme des cœurs purs et droits. Mais en dehors de la famille, le manque de moyens d'expansion intime, l'habitude de ne consulter que la voix intérieure renferment en luimême le protestant isolé et font de lui souvent un monologueur mélancolique ou un excentrique insociable. Dans les pays de forte individualité, en Angleterre par exemple, où le recours à soi seul, l'aide personnelle sont de regle et d'habitude, la femme isolée, veuve ou vieille fille, en arrive souvent à n'être plus qu'une sorte d'être sans sexe, tout en soi-même, méthodique et entêté, sans chaleur et sans attrait. De tels individus sont rares dans les pays catholiques. Le Catholicisme, qui par son

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