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« un sentiment nous paroît démontré, plus nous devons * chercher sur quoi tant d'hommes se fondent pour ne pas i< le trouver tel. Il faudroit être bien simple pour croire « qu'il suffit d'entendre les docteurs de son parti pour « s'instruire des raisons du parti contraire.... Chacun « brille dans son parti; mais tel au milieu des siens est « fier de ses preuves, qui feroit un fort sot personnage « avec ces mêmes preuves parmi des gens d'un autre parti. « Voulez-vous vous instruire dans les livres? quelle érudi« tion il faut acquérir, que de langues il faut apprendre, « que de bibliothèques il faut feuilleter, quelle immense « lecture il faut faire! Qui me guidera dans le choix? Dif« ficilement trouvera-t-on dans un pays les meilleurs livres « du parti contraire, à plus forte raison ceux de tous les « partis ; quand on les trouveroit, ils seroient bientôt ré« futés. L'absent a toujours tort, et de mauvaises raisons H dites avec assurance effacent aisément les bonnes expo« sées avec mépris. D'ailleurs souvent les livres nous « trompent, et ne rendent pas fidèlement les sentiments.

« de ceux qui les ont écrits Pour bien juger d'une Re

« ligion, il ne faut pas l'étudier dans les livres de ses sec» tateurs, il faut aller l'apprendre chez eux; cela est fort « différent. Chacun a ses traditions, son sens, ses cou« tumes, ses préjugés, qui font l'esprit de sa croyance, et « qu'il y faut joindre pour en juger.

« Combien de grands peuples n'impriment point de li« vres, et ne lisent point les nôtres! Comment jugerons« nous des leurs? Nous les raillons, ils nous raillent : ils « ne savent pas nos raisons, nous ne savons pas les leurs; « et si nos voyageurs les tournent en ridicule, il ne leur « manque, pour nous le rendre, que de voyager parmi « nous. Dans quel pays n'y a-t-il pas des gens sensés, des « gens de bonne foi, d'honnêtes gens amis de la vérité, « qui, pour la professer, ne cherchent qu'à la connoitre? « Cependant chacun la voit dans son culté, et trouve « absurdes les cultes des autres nations : donc ces cultes « étrangers ne sont pas si extravagants qu'ils nous sem« blent, ou la raison que nous trouvöiis dans les nôtres « ne prouve rien.... D'où il suit que s'il n'y a qu'une « Religion véritable, et que tout homme soit obligé de la « suivre sous peine de damnation, il faut passer sa vie à « les étudier toutes, à les approfondir, à les comparer, à « parcourir les pays où elles sont établies". Nul n'y est « exempt du premier devoir de l'homme, nul n'a droit de « se fler au jugement d'autrui. L'artisan qui ne vit que de « son travail, le laboureur qui ne sait pas lire, la jeune | « fille délicate et timide, l'infirme qui peut à peine sortir (( de son lit, tous, sans exception, doivent étudier, méditer « disputer, voyager, parcourir le monde : il n'y aura plus « de peuple fixe et stable; la terre entière ne sera couverte « que de pèlerins allant, à grands frais et avec de longues « fatigues, vérifier, comparer, examiner par eux-mêmes « les cultes divers qu'on y suit. Alors adieu les métiers, « les arts, les sciences humaines et toutes les occupations « civiles ; il ne peut plus y avoir d'autre étude que celle « de la Religion ; à grand'peine celui qui aura joui de lo « santé la plus robuste, le mieux employé son temps, le « mieux usé de sa raison, vécu le plus d'années, saura-t-il « dans sa vieillesse à quoi s'en tenir, et ce sera beaucoup « s'il apprend avant sa mort dans quel culte il auroit dû « vivre *. » . " D'où il suit qu'en cherchant, comme le veut Rousseau, la vraie religion par le raisonnement, on est forcé de conclure d'abord que parmi tant de religions diverses, une seule est la bonne, ou la véritable, si tant est qu'une le soit; et ensuite que, s'il n'y a qu'une religion véritable, il est impossible aux hommes de la discerner. Voilà ce que dit Rousseau en termes formels. Comment, après cela, douter de l'excellence de la méthode du raisonnement? · · Émile, toni. lil, p.33, 25 21, 38, 56 et 5i.

Que chacun soit contraint de chercher la vraie Religion par sa raison seule, c'est là sans doute ce qui arrivera*, et Rousseau ne pouvoit faire Inieux sentir les inconvénients, tranchons le mot, l'extravagance du système qu'il défend. Représentez-vous, en effet, un apôtre de ce système, pénétré de son importance, et plein de zèle pour le propager. Le voilà qui s'en va de ville en ville, de chaumière en chaumière, tenant à tous ceux qu'il rencontre, riches, pauvres, savants, ignorants, ce pathétique

discours : · · « Jusqu'ici vous avez cru à certains dogmes, à certains « préceptes, qui, pour ce que j'en sais, peuvent être vrais « ou faux, bons ou mauvais; mais qu'en aucun cas vous

" Celse vouloit, comme Rousseau, qu'on n'admît aucun dogme avant que la raison l'eût jugé vrai. Origène réfute avec beaucoup de force ce dangereux principe du philosophe épicurien. « Puisque la foiblesse de « l'humanité, dit-il, et les besoins de la vie rendent ce moyen impra« ticable pour la multitude, eh pouvoit-on imaginer un plus sûr que « celui que Jésus a choisi? Demandons à ce peuple fidèle, autrefois « plongé dans la fange du vice, ce qui leur étoit le plus avantageux, « ou de se corriger en croyant sans examen qu'un jour le vice seroit « puni et la vertu récompensée, ou, en méprisant cette foi simple, « d'attendre, pour changer de vie, qu'il eût approfondi les principes « de la doctrine qu'on lui annonçoit. Il est manifeste qu'aucun d'entre « eux, à un très-petit nombre près, ne seroit parvenu par la force de « la raison où la foi seule les a conduits tous, mais qu'ils seroient restés « dans leurs désordres... Pour cette foi simple que nos adversaires se « plaisent tant à décrier, nous avouons que nous ne cessons de la re« commander, convaincus qu'elle est nécessaire au grand nombre des ( hommes, qui ne sauroient tout abandonner pour s'appliquer unique« ment à la recherche de la vérité. Nos philosophes mêmes n'en usent « pas autrement, mais ils se gardent bien d'en convenir. » Orig. contr. Cels., lib. I, n. 9 et 10. Au reste, il est remarquable qu'après avoir posé le même principe que Rousseau, Celse en tire aussi la même conséquence. Selon lui, « tous les peuples ne sauroient mieux faire que « d'observer exactement leurs lois, leurs usages, leur religion, leurs

« rites, quels qu'ils puissent être » Ibid., lib. V, n. 25,

« n'avez dû admettre sur l'autorité de vos pères et de vos « pasteurs. Hâtez-vous donc de rappeler à l'examen de la « raison tout ce qu'ils vous ont appris dès votre enfance. « Supposez un moment que vous ne croyez rien, que vous « ne savez rien, et, afin de savoir, raisonnez, et concevez « avant de croire. La foi s'assure et s'affermit par l'enten« dément. En conséquence, remontant aux premiers prin« cipes des choses, vous examinerez d'abord s'il y a quel« que chose, et pourquoi il y a quelque chose *; si vous « êtes et ce que vous êtes ; s'il existe d'autres êtres hors « de vous. De là vous passerez à la grande question de « l'existence de Dieu ; vous vous demanderez, quel est-il? H est-il ? et votre esprit se confondra, s'égarera, et vous « ne saurez plus que penser. Revenant ensuite à vousu mêmes, il sera convenable d'examiner si vous avez une « âme ; car si par hasard vous n'en aviez pas, cela abrége« roit beaucoup vos recherches sur la religion, qui après « tout, n'intéresse guère que l'état futur de cette âme "problématique. Or, le système le plus simple est qu'il n'y « a point d'âme'; et quand il y en auroit, la raison petit a douter de son immortalité. Cependant, comme person« nellement j'admets l'existence de Dieu et celle de l'âme « immortelle ou non, je présume que vous les admettrez « aussi. Mais quelle conséquence en doit-on déduire? ii Que faut-il croire de plus? Dieu a-t-il imposé des de

'« Pourquoi y a-t-il quelque chose? Terrible question, et dont les '< philosophes ne sont pas assez effrayés, » dit d'Alembert. Mélanges de p'iilosophie.— Diderot fait la même réflexion: « La question pourquoi « il existe quelque chose, est la plus embarrassante que la philosophie »: pût se proposer, et il n'y a que la révélation qui y réponde. » De l'Interprétation de la nature, p. 144. — Platon se fait une question semblable : Pourquoi, demande-t-il, l'auteur de toutes choses a-t-il fait cet univers? Sa réponse nous paraît sublime: àyxttô; 17v, il était bon In Tim. oper., tom. IX, p. 505. Édil. Bipont.

« voirs à l'homme? et quels sont ces devoirs? C'est sur « quoi vous devez raisonner de nouveau. Vous êtes nés « chrétiens, et moi aussi ; mais c'est un motif de plus pour « nous défier de ce qu'on nous enseigna dans notre en

1 fance. Ainsi, je le répète, raisonnez, examinez. Je vous « avoue que la majesté des Écritures m'étonne, la sainteté « de l'Évangile parle à mon cœur. Avec tout cela ce même « Évangile est plein de choses incroyables, de choses qui « répugnent à la raison, et qu'il est impossible à tout « homme sensé de concevoir ni d'admettre1. Au surplus « vous en jugerez, car que peut-on vous dire dont vous ne « restiez pas les piges? Mais n'oubliez pas ce point essen« tiel. Parmitant de Religions diverses, qui se proscrivent « et s'excluent mutuellement, une seule est la bonne, si « tant est qu'une le soit. Pour la reconnaître, il ne suffit « pas d'en examiner une, il faut les examiner toutes; il « faut comparer les objections aux preuves; il faut savoir « ce que chacun oppose aux autres, et ce qu'il leur « pond*. Laissant donc de côté tout autre soin, car nul « n'est exempt du premier devoir de l'homme, nul n'a le « droit de se fier au jugement d'autrui ; formez des biblio« thèques, asseyez-vous, et lisez. Vous ne savez pas lire, « dites-vous : apprenez, je n'y vois que cela. Puis, quand « vous aurez lu quelques milliers de livres dans la langue « où ils furent originairement écrits, car qui nous assure« roit que ces livres sont fidèlement traduits, qu'il est « même possible qu'ils le soient**! Après cela, dis-je, allez

« vous-en de peuple en peuple, de royaume en royaume,. « vous enquérant, en chaque lieu, des traditions, du sens, des coutumes, des préjugés qui font l'esprit de la croyance,

'Emile, tom. III, p. 40 et 45.

2 «M., p. 25. 5 10id.. p. 29.

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