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qui sait tous les rôles, fait la parade, sur la joue duquel le rouge ne tient plus, éreinté par ses fatigues, les lèvres pâteuses, la langue toujours alerte, même pendant l'ivresse, le regard sans pudeur, enfin compromettant par ses gestes. Cette figure, allumée par la joyeuse flamberie du punch, démentait la gravité des affaires. Aussi fallut-il à Claparon de longues études mimiques avant de parvenir à se composer un maintien en harmonie avec son importance postiche. Du Tillet avait assisté à la toilette de Claparon, comme un directeur de spectacle inquiet du début de son principal acteur, car il tremblait que les habitudes grossières de cette vie insoucieuse ne vinssent à éclater à la surface du banquier. Parle le moins pos

sible, lui avait-il dit. Jamais un banquier ne bavarde: il agit, pense, médite, écoute et pèse. Ainsi, pour avoir bien l'air d'un banquier, ne dis rien, ou dis des choses insignifiantes. Éteins ton œil égrillard et rends-le grave, au risque de le rendre bête. En politique, sois pour le gouvernement, et jette-toi dans les généralités, comme: Le budget est lourd. Il n'y a pas de transactions possibles entre les partis. Les libéraux sont dangereux. Les Bourbons doivent éviter tout conflit. Le libéralisme est le manteau d'intérêts coalisés. Les Bourbons nous ménagent une ère de prospérité, soutenons-les, si nous ne les aimons pas. La France a fait assez d'expériences politiques, etc. Ne te vautre pas sur toutes les tables, songe que tu as à conserver la dignité d'un millionnaire. Ne renifle pas ton tabac comme fait un invalide; joue avec ta tabatière, regarde souvent à tes pieds ou au plafond avant de répondre, enfin donne-toi l'air profond. Surtout défais-toi de ta malheureuse habitude de toucher à tout. Dans le monde, un banquier doit paraître las de toucher. Ah çà! tu passes les nuits, les chiffres te rendent brute, il faut rassembler tant d'éléments pour lancer une affaire! tant d'études! Surtout dis beaucoup de mal des affaires. Les affaires sont lourdes, pesantes, difficiles, épineuses. Ne sors pas de là et ne spécifie rien. Ne va pas à table chanter tes farces de Béranger, et ne bois pas trop. Si tu te grises, tu perds ton avenir. Roguin te surveillera; tu vas te trouver avec des gens moraux, des bourgeois vertueux, ne les effraie pas en lâchant quelques-uns de tes principes d'estaminet.

Cette mercuriale avait produit sur l'esprit de Charles Claparon un effet pareil à celui que produisaient sur sa personne ses habits neufs. Ce joyeux sans-souci, l'ami de tout le monde, habitué à des

vêtements débraillés, commodes, et dans lesquels son corps n'était pas plus gêné que son esprit dans son langage, maintenu dans des habits neufs que le tailleur avait fait attendre et qu'il essayait, roide comme un piquet, inquiet de ses mouvements comme de ses phrases, retirant sa main imprudemment avancée sur un flacon ou sur une boîte, de même qu'il s'arrêtait au milieu d'une phrase, se signala donc par un désaccord risible à l'observation de Pillerault. Sa figure rouge, sa perruque à tire-bouchons égrillards démentaient sa tenue, comme ses pensées combattaient ses dires. Mais les bons bourgeois finirent par prendre ces continuelles dissonances pour de la préoccupation.

- Il a tant d'affaires, disait Roguin.

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Les affaires lui donnent peu d'éducation, dit madame Ragon à Césarine.

Monsieur Roguin entendit le mot et se mit un doigt sur les lèvres. Il est riche, ha bile et d'une excessive probité, dit-il en se baissant vers madame Ragon.

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On peut lui passer quelque chose en faveur de ces qualitéslà, dit Pillerault à Ragon.

Lisons les actes avant le dîner, dit Roguin, nous sommes seuls. Madame Ragon, Césarine et Constance laissèrent les contractants, Pillerault, Ragon, César, Roguin et Claparon, écouter la lecture que fit Alexandre Crottat. César signa, au profit d'un client de Roguin, une obligation de quarante mille francs, hypothéqués sur les terrains et les fabriques situés dans le faubourg du Temple; il remit à Roguin le bon de Pillerault sur la Banque, donna sans reçu les vingt mille francs d'effets de son portefeuille et les cent quarante mille francs de billets à l'ordre de Claparon.

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Je n'ai point de reçu à vous donner, dit Claparon, vous agissez de votre côté chez monsieur Roguin comme nous du nôtre. Nos vendeurs recevront chez lui leur prix en argent, je ne m'engage pas à autre chose qu'à vous faire trouver le complément de votre part avec vos cent quarante mille francs d'effets.

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-Eh! bien, messieurs, rappelons les dames, car il fait froid sans elles, dit Claparon en regardant Roguin comme pour savoir si la plaisanterie n'était pas trop forte.

- Mesdames! Oh! mademoiselle est sans doute votre demoiselle, dit Claparon en se tenant droit et regardant Birotteau, eh! bien,

vous n'êtes pas maladroit. Aucune des roses que vous avez distillées ne peut lui être comparée, et peut-être est-ce parce que vous avez distillé des roses que...

- Ma foi, dit Roguin en interrompant, j'avoue ma faim.

Eh bien, dînons, dit Birotteau.

Nous allons dîner par-devant notaire, dit Claparon en se rengorgeant.

Vous faites beaucoup d'affaires, dit Pillerault en se mettant à table auprès de Claparon avec intention.

-Excessivement, par grosses, répondit le banquier; mais elles sont lourdes, épineuses, il y a les canaux. Oh! les canaux ! Vous ne vous figurez pas combien les canaux nous occupent! et cela se comprend. Le gouvernement veut des canaux. Le canal est un besoin qui se fait généralement sentir dans les départements et qui concerne tous les commerces, vous savez ! Les fleuves, a dit Pascal, sont des chemins qui marchent. Il faut donc des marchés. Les marchés dépendent de la terrasse, car il y a d'effroyables terrassements, le terrassement regarde la classe pauvre, de là les emprunts qui en définitive sont rendus aux pauvres ! Voltaire a dit : Canaux, canards, canaille! Mais le gouvernement a ses ingénieurs qui l'éclairent; il est difficile de le mettre dedans, à moins de s'entendre avec eux, car la Chambre!... Oh! monsieur, la Chambre nous donne un mal! elle ne veut pas comprendre la question politique cachée sous la question financière. Il y a mauvaise foi de part et d'autre. Croirez-vous une chose? Les Keller, eh! bien, François Keller est un orateur, il attaque le gouvernement à propos de fonds, à propos de canaux. Rentré chez lui, mon gaillard nous trouve avec nos propositions, elles sont favorables, il faut s'arranger avec ce gouvernement dito, tout à l'heure insolemment attaqué. L'intérêt de l'orateur et celui du banquier se choquent, nous sommes entre deux feux! Vous comprenez maintenant comment les affaires deviennent épineuses, il faut satisfaire tant de monde : les commis, les chambres, les antichambres, les ministres....

-Les ministres? dit Pillerault qui voulait absolument pénétrer ce coassocié.

Oui, monsieur, les ministres.

-Eh! bien, les journaux ont donc raison, dit Pillerault.

Voilà mon oncle dans la politique, dit Birotteau, monsieur Claparon lui fait bouillir du lait.

- Encore de satanés farceurs, dit Claparon, que ces journaux. Monsieur, les journaux nous embrouillent tout: ils nous servent bien quelquefois, mais ils me font passer de cruelles nuits; j'aimerais mieux les passer autrement; enfin j'ai les yeux perdus à force de lire et de calculer.

-Revenons aux ministres, dit Pillerault espérant des révélations. Les ministres ont des exigences purement gouvernementales. Mais qu'est-ce que je mange là, de l'ambroisie? dit Claparon en s'interrompant. Voilà de ces sauces qu'on ne mange que dans les maisons bourgeoises, jamais les gargotiers...

A ce mot, les fleurs du bonnet de madame Ragon sautèrent comme des béliers. Claparon comprit que le mot était ignoble, et voulut se rattraper.

- Dans la haute Banque, dit-il, on appelle gargotiers les chefs de cabarets élégants, Véry, les Frères Provençaux. Eh! bien, ni ces infâmes gargotiers ni nos savants cuisiniers ne nous donnent de sauces moelleuses; les uns font de l'eau claire acidulée par le citron, les autres font de la chimie.

Le dîner se passa tout entier en attaques de Pillerault qui cherchait à sonder cet homme et qui ne rencontrait que le vide, il le regarda comme un homme dangereux.

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Tout va bien, dit Roguin à l'oreille de Charles Claparon.

Ah! je me déshabillerai sans doute ce soir, répondit Claparon qui étouffait.

Monsieur, lui dit Birotteau, si nous sommes obligés de faire de la salle à manger le salon, c'est que nous réunissons dans dixhuit jours quelques amis autant pour célébrer la délivrance du territoire...

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Bien, monsieur; moi, je suis aussi l'homme du gouvernement. J'appartiens, par mes opinions, au statu quo du grand homme qui dirige les destinées de la maison d'Autriche, un fameux gaillard! Conserver pour acquérir, et surtout acquérir pour conserver... Voilà le fond de mes opinions, qui ont l'honneur d'être celles du prince de Metternich.

-Que pour fêter ma promotion dans l'ordre de la Légion-d'Honneur, reprit César.

- Mais, oui, je sais. Qui donc m'a parlé de cela? les Keller ou Nucingen?

Roguin, surpris de tant d'aplomb, fit un geste admiratif,

Eh! non, c'est à la Chambre.

- A la Chambre, par monsieur de La Billardière, demanda

César.

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Précisément.

Il est charmant, dit César à son oncle.

- Il lâche des phrases, des phrases, dit Pillerault, des phrases où l'on se noie.

- Peut-être me suis-je rendu digne de cette faveur..., reprit Birotteau.

Par vos travaux en parfumerie, les Bourbons savent récompenser tous les mérites. Ah! tenons-nous-en à ces généreux princes légitimes, à qui nous allons devoir des prospérités inouïes... Car, croyez-le bien, la Restauration sent qu'elle doit jouter avec l'Empire; elle fera des conquêtes en pleine paix, vous verrez des conquêtes!...

- Monsieur nous fera sans doute l'honneur d'assister à notre bal! dit madame César.

- Pour passer une soirée avec vous, madame, je manquerais à gagner des millions.

- Il est décidément bien bavard, dit César à son oncle.

Tandis que la gloire de la parfumerie, à son déclin, allait jeter ses derniers feux, un astre se levait faiblement à l'horizon commercial. Le petit Popinot posait à cette heure même les fondements de sa fortune, rue des Cinq-Diamants. La rue des Cinq-Diamants, petite rue étroite où les voitures chargées passent à grand'peine, donne rue des Lombards d'un bout, et de l'autre rue Aubry-Boucher, en face la rue Quincampoix, rue illustre du vieux Paris, où l'histoire de France en a tant illustré. Malgré ce désavantage, la réunion des marchands de drogueries la rend précieuse, et, sous ce rapport, Popinot n'avait pas mal choisi; mais sa maison, la seconde du côté de la rue des Lombards, était si sombre que, par certaines journées, il y fallait de la lumière en plein jour. Il avait pris possession, la veille au soir, des lieux les plus noirs et les plus dégoûtants. Son prédécesseur, marchand de mélasse et de sucre brut, avait laissé les stigmates de son commerce sur les murs, dans la cour et dans les magasins. Figurez-vous une grande et spacieuse boutique à grosses portes ferrées, peintes en vert-dragon, à longues bandes de fer apparentes, ornées de clous dont les têtes ressemblaient à des champignons, garnie de grilles treillissées en fil de fer renflées par en

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