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pour peindre l'embrouillement du cerveau, il faudrait peut-être le saigner ou lui mettre les sangsues.

Cela devait arriver, dit Constance à mille lieues d'un désastre, il n'a pas pris sa médecine de précaution à l'entrée de l'hiver, et il se donne, depuis deux mois, un mal de galérien, comme s'il n'avait pas son pain gagné.

César fut supplié par sa femme et par sa fille de se mettre au lit, et l'on envoya chercher le vieux docteur Haudry, médecin de Birotteau. Le vieux Haudry était un médecin de l'école de Molière, grand praticien et ami des anciennes formules de l'apothicairerie, droguant ses malades ni plus ni moins qu'un médicastre, tout consultant qu'il était. Il vint, étudia le facies de César, ordonna l'ap-` plication immédiate de sinapismes à la plante des pieds : il voyait les symptômes d'une congestion cérébrale.

Qui a pu lui causer cela? dit Constance.

- Le temps humide, répondit le docteur à qui Césarine vint dire un mot.

Il y a souvent obligation pour les médecins de lâcher sciemment des niaiseries afin de sauver l'honneur ou la vie des gens bien portants qui sont autour du malade. Le vieux docteur avait vu tant de choses, qu'il comprit à demi-mot. Césarine le suivit sur l'escalier en lui demandant une règle de conduite.

Du calme et du silence, puis nous risquerons des fortifiants quand la tête sera dégagée.

Madame César passa deux jours au chevet du lit de son mari, qui lui parut souvent avoir le délire. Mis dans la belle chambre bleue de sa femme, il disait des choses incompréhensibles pour Constance, à l'aspect des draperies, des meubles et de ses coûteuses magnificences.

- Il est fou, disait-elle à Césarine en un moment où César s'était dressé sur son séant et citait d'une voix solennelle les articles du Code de commerce par bribes.

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Si les dépenses sont jugées excessives, ôtez les draperies! Après trois terribles jours, pendant lesquels la raison de César fut en danger, la nature forte du paysan tourangeau triompha; sa tête fut dégagée; monsieur Haudry lui fit prendre des cordiaux, une nourriture énergique, et, après une tasse de café donnée à temps, le négociant fut sur ses pieds. Constance fatiguée prit la place de son mari.

Pauvre femme, dit César quand il la vit endormie.

Allons, papa, du courage! Vous êtes un homme si supérieur que vous triompherez. Ce ne sera rien. Monsieur Anselme vous aidera.

Césarine dit d'une voix douce ces vagues paroles que la tendresse adoucit encore, et qui rendent le courage aux plus abattus, comme les chants d'une mère endorment les douleurs d'un enfant tourmenté par la dentition.

Oui, mon enfant, je vais lutter; mais pas un mot à qui que ce soit au monde, ni à Popinot qui nous aime, ni à ton oncle Pillerault. Je vais d'abord écrire à mon frère : il est, je crois, chanoine, vicaire d'une cathédrale; il ne dépense rien, il doit avoir de l'argent. A mille écus d'économie par an, depuis vingt ans, il doit avoir cent mille francs. En province, les prêtres ont du crédit.

Césarine, empressée d'apporter à son père une petite table et tout ce qu'il fallait pour écrire, lui donna le reste des invitations imprimées sur papier rose pour le bal.

- Brûle tout ça! cria le négociant. Le diable seul a pu m'inspirer de donner ce bal. Si je succombe, j'aurai l'air d'un fripon. Allons, pas de phrases.

LETTRE DE CÉSAR A FRANÇOIS BIROTteau.

Mon cher frère,

Je me trouve dans une crise commerciale si difficile, que je te supplie de m'envoyer tout l'argent dont tu pourras disposer, fallût-il même en emprunter.

Tout à toi,

CÉSAR.

Ta nièce Césarine, qui me voit écrire cette lettre pendant que ma pauvre femme dort, se recommande à toi et l'envoie ses tendresses.

Ce post-scriptum fut ajouté à la prière de Césarine qui porta la lettre à Raguet.

Mon père, dit-elle en remontant, voici monsieur Lebas qui

veut vous parler.

Monsieur Lebas, s'écria César effrayé comme si son désastre le rendait criminel, un juge!

COM. HUM. T. X.

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Mon cher monsieur Birotteau, je prends trop d'intérêt à vous, dit le gros marchand drapier en entrant, nous nous connaissons depuis trop long-temps, nous avons été élus tous deux juges la première fois ensemble, pour ne pas vous dire que Gigonnet, un usurier, à des effets de vous passés à son ordre, sans garantie, par la maison Claparon. Ces deux mots sont non-seulement un affront, mais encore la mort de votre crédit.

- Monsieur Claparon désire vous parler, dit Célestin en se montrant, dois-je le faire monter?

Nous allons savoir la cause de cette insulte, dit Lebas.

Monsieur, dit le parfumeur à Claparon en le voyant entrer, voici monsieur Lebas, juge au tribunal de commerce et mon · ́ami ....

Ah! monsieur est monsieur Lebas, dit Claparon en interrompant, je suis enchanté de la circonstance, monsieur Lebas du tribunal, il y a tant de Lebas, sans compter les hauts et les bas... Il a vu, reprit Birotteau en interrompant le bavard, les effets que je vous ai remis, et qui, disiez-vous, ne circuleraient pas. Il les a vus avec ces mots : sans garantie,

-

- Eh! bien, dit Claparon, ils ne circuleront pas en effet, ils sont entre les mains d'un homme avec qui je fais beaucoup d'affaires, le père Bidault. Voilà pourquoi j'ai mis sans garantie. S'ils avaient dù circuler, vous les auriez faits à son ordre directement. Monsieur le juge va comprendre ma situation. Que représentent ces effets? un prix d'immeuble, payé par qui? par Birotteau. Pourquoi voulez-vous que je garantisse Birotteau par ma signature? Nous devous payer, chacun de notre côté, notre part dans cedit prix. Or, n'est-ce pas assez d'être solidaire vis-à-vis de nos vendeurs? Chez moi, la règle commerciale est inflexible : je ne donne pas plus inutilement ma garantic que je ne donne quittance d'une somme à recevoir. Je suppose tout. Qui signe paie. Je ne veux pas être exposé à payer trois fois.

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- Oui, monsieur, reprit Claparon. Déjà j'ai garanti Birotteau à nos vendeurs, pourquoi le garantirai-je encore au banquier? Les circonstances où nous sommes sont dures, Roguin m'emporte cent mille francs. Ainsi, déjà ma moitié de terrains me coûte cinq cent mille au lieu de quatre cent mille francs. Roguin emporte deux cent quarante mille francs à Birotteau. Que feriez-vous à ma place,

monsieur Lebas? mettez-vous dans ma peau. Je n'ai pas l'honneur d'être connu de vous, plus que je ne connais monsieur Birotteau. Suivez bien. Nous faisons une affaire ensemble par moitié. Vous apportez tout l'argent de votre part, moi je règle la mienne en mes valeurs; je vous les offre, vous vous chargez, par une excessive complaisance, de les convertir en argent. Vous apprenez que Claparon, banquier, riche, considéré, j'accepte toutes les vertus du monde, que le vertueux Claparon se trouve dans une faillite pour six millions à rembourser; irez-vous, en ce moment-là même, mettre votre signature pour garantir la mienne? Vous seriez fou! Eh! bien, monsieur Lebas, Birotteau est dans le cas où je suppose Claparon. Ne voyez -vous pas que je puis alors payer aux acquéreurs comme solidaire, être tenu de rembourser encore la part de Birotteau jusqu'à concurrence de ses effets, si je les garantissais, et sans avoir...

A qui? demanda le parfumeur en interrompant.

Et sans avoir sa moitié de terrains, dit Claparon sans tenir compte de l'interruption, car je n'aurais aucun privilége; il faudrait donc encore l'acheter! Donc je puis payer trois fois.

-Rembourser, à qui, demandait toujours Birotteau.

Mais au tiers-porteur, si j'endossais et qu'il vous arrivât un malheur.

- Je ne manquerai pas, monsieur, dit Birotteau.

Bien, dit Claparon. Vous avez été juge, vous êtes habile commerçant, vous savez que l'on doit tout prévoir, ne vous étonnez donc pas que je fasse mon métier.

Monsieur Claparon a raison, dit Joseph Lebas.

J'ai raison, reprit Claparon, raison commercialement. Mais cette affaire est territoriale. Or, que dois-je recevoir, moi?... de l'argent, car il faudra donner de l'argent à nos vendeurs. Laissons de côté les deux cent quarante mille francs que monsieur Birotteau trouvera, j'en suis sûr, dit Claparon en regardant Lebas. Je venais vous demander la bagatelle de vingt-cinq mille francs, dit-il en regardant Birotteau.

Vingt-cinq mille francs, s'écria César en se sentant de la glace au lieu de sang dans les veines. Mais, monsieur, à quel titre? Hé mon cher monsieur, nous sommes obligés de réaliser les ventes par-devant notaire. Or, relativement au prix, nous pouvons nous entendre entre nous; mais avec le fisc, votre serviteur!

Le fisc ne s'amuse pas à dire des paroles oiseuses, il fait crédit de la main à la poche, et nous avons à lui cracher quarante-quatre mille francs de droits cette semaine. J'étais loin de m'attendre à des reproches en venant ici, car, pensant que ces vingt-cinq mille francs pouvaient vous gêner, j'avais à vous annoncer que, par le plus grand des hasards, je vous ai sauvé...

Quoi? dit Birotteau en faisant entendre ce cri de détresse auquel aucun homme ne se trompe.

- Une misère ! les vingt-cinq mille francs d'effets sur divers que Roguin m'avait remis à négocier, je vous en ai crédité sur l'enregistrement et les frais dont je vous enverrai le compte; il y a la petite négociation à déduire, vous me redevrez six ou sept mille francs.

- Tout cela me semble parfaitement juste, dit Lebas. A la place de monsieur, qui me paraît très-bien entendre les affaires, j'agirais de même envers un inconnu.

Monsieur Birotteau ne mourra pas de cela, dit Claparon, il faut plus d'un coup pour tuer un vieux loup; j'ai vu des loups avec des balles dans la tête courir comme..., et, pardieu, comme des loups.

Qui peut prévoir une scélératesse semblable à celle de Roguin? dit Lebas autant effrayé du silence de César que d'une si énorme spéculation étrangère à la parfumerie.

- Il s'en est peu fallu que je ne donnasse quittance de quatre cent mille francs à monsieur, dit Claparon, et j'étais fumé. J'avais remis cent mille francs à Roguin la veille. Notre confiance mutuelle m'a sauvé. Que les fonds fussent à l'étude, ou fussent chez moi jusqu'au jour des contrats définitifs, la chose nous semblait à tous indifférente.

Il aurait mieux valu que chacun gardât son argent à la Banque jusqu'au moment de payer, dit Lebas.

Roguin était la Banque pour moi, dit César. Mais il est dans l'affaire, reprit-il en regardant Claparon.

-Oui, pour un quart, sur parole, répondit Claparon. Après la sottise de lui laisser emporter mon argent, il y en a une plus pommée, ce serait de lui en donner. S'il m'envoie mes cent mille francs, et deux cent mille autres pour sa part, alors nous verrons! Mais il se gardera bien de me les envoyer pour une affaire qui demande cinq ans de pot-bouille avant de donner un premier po

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