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répondit le chevalier dont la figure laissa échapper un sourire; ma is il vaut mieux la remettre soi-même.

Des louis! s'écria la baronne.

Calyste rentra, prit son chapeau; puis il courut aux Touchés, et produisit comme une apparition dans le petit salon où il entendait les voix de Béatrix et de Camille. Toutes les deux étaient sur le divan et paraissaient être en parfaite intelligence. Calyste, avec cette soudaineté d'esprit que donne l'amour, se jeta très étourdiment sur le divan à côté de la marquise en lui prenant la main et y mettant så lettre, sans que Félicité, quelque attentive qu'elle fût, pût s'en apercevoir. Le cœur de Calyste fut chatouillé par une émotion aiguë et douce tout à la fois en se sentant presser la main par celle de Béatrix, qui, sans interrompre sa phrase ni paraître décontenan→ cée, glissait la lettre dans son gant.

- Vous vous jetez sur les femmes comme sur des divans, ditelle en riant.

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Il n'en est cependant pas à la doctrine des Turcs, répliquà Félicité, qui ne put se refuser cette épigramme.

Calyste se leva, prit la main de Camille et la lui baisa; puis il alla au piano, en fit résonner toutes les notes d'un coup en passant lé doigt dessus. Cette vivacité de joie occupa Camille, qui lui dit dé venir lui parler.

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Qu'avez-vous? lui demanda-t-elle à l'oreille.

-Rien, répondit-il.

Il y a quelque chose entre eux, se dit mademoiselle des Touches.

La marquise fut impénétrable. Camille essaya de faire causer Calyste en espérant qu'il se trahirait; mais l'enfant prétexta l'inquiétude où serait sa mère, et quitta les Touches à onze heures, non sans avoir essuyé le feu d'un regard perçant de Camille, à qui cette phrase était dite pour la première fois.

Après les agitations d'une nuit pleine de Béatrix, après être allé pendant la matinée vingt fois dans Guérande au-devant de la réponse qui ne venait pas, la femme de chambre de la marquise entra dans l'hôtel du Guénic, et remit à Calyste cette réponse, qu'il alla lire au fond du jardin sous la tonnelle.

BEATRIX A CALYSTE.

: « Vous êtes un noble enfant, mais vous êtes un enfant. Vous vous devez à Camille, qui vous adore. Vous ne trouveriez en moi ni les perfections qui la distinguent ni le bonheur qu'elle vous prodigue. Quoi que vous puissiez penser, elle est jeune et je suis vieille, elle a le cœur plein de trésors et le mien est vide, elle a pour vous un dévouement que vous n'appréciez pas assez, elle est sans égoïsme, elle ne vit qu'en vous; et moi je serais remplie de doutes, je vous entraînerais dans une vie ennuyée, sans noblesse, dans une vie gâtée par ma faute. Camille est libre, elle va et vient comme elle veut; moi je suis esclave. Enfin vous oubliez que j'aime et que je suis aimée. La situation où je suis devrait me défendre de tout hommage. M'aimer ou me dire qu'on m'aime est, chez un homme, une insulte. Une nouvelle faute ne me mettraitelle pas au niveau des plus mauvaises créatures de mon sexe? Vous qui êtes jeune et plein de délicatesses, comment m'obligez-vous à vous dire ces choses, qui ne sortent du cœur qu'en le déchirant? J'ai préféré l'éclat d'un malheur irréparable à la honte d'une constante tromperie, ma propre perte à celle de la probité; mais aux yeux de beaucoup de personnes à l'estime desquelles je tiens, je suis encore grande en changeant, je tomberais de quelques degrés de plus. Le monde est encore indulgent pour celles dont la constance couvre de son manteau l'irrégularité du bonheur; mais il est impitoyable pour les habitudes vicieuses. Je n'ai ni dédain ni colère, je vous réponds avec franchise et simplicité. Vous êtes jeune, vous ignorez le monde, vous êtes emporté par la fantaisie, et vous êtes incapable, comme tous les gens dont la vie est pure, de faire les réflexions que suggère le malheur. J'irai plus loin. Je serais la femme du monde la plus humiliée, je cacherais d'épouvantables misères, je serais trahie, enfin je serais abandonnée, et, Dieu merci, rien de tout cela n'est possible; mais, par une vengeance du ciel, il en serait ainsi, personne au monde ne me verrait plus. Oui, je me sentirais alors le courage de tuer un homme qui me parlerait d'amour, si, dans la situation où je serais, un homme pouvait encore arriver à moi. Vous avez là le fond de ma pensée. Aussi peut-être ai-je à vous remercier de m'avoir écrit. Après votre lettre, et surtout après ma réponse, je puis être à mon

aise auprès de vous aux Touches, être au gré de mon caractère et comme vous le demandez. Je ne vous parle pas du ridicule amer qui me poursuivrait dans le cas où mes yeux cesseraient d'exprimer les sentiments dont vous vous plaignez. Un second vol fait à Ca→ mille serait une preuve d'impuissance auquel une femme ne se résout pas deux fois. Vous aimé-je follement, fussé-je aveugle, oublié-je tout, je verrais toujours Camille! Son amour pour vous est une de ces barrières trop hautes pour être franchies par aucune puissance, même par les ailes d'un ange: il n'y a qu'un démon qui ne recule pas devant ces infâmes trahisons. Il se trouve ici, mon enfant, un monde de raisons que les femmes nobles et délicates se réservent et auxquelles vous n'entendez rien, vous autres hommes, même quand ils sont aussi semblables à nous que vous l'êtes en ce moment. Enfin vous avez une mère qui vous à montré ce que doit être une femme dans la vie; elle est pure et sans tache, elle a rempli sa destinée noblement; ce que je sais d'elle a mouillé mes yeux de larmes, et du fond de mon cœur il s'est élevé des mouvements d'envie. J'aurais pu être ainsi ! Calyste, ainsi doit être votre femme, et telle doit être sa vie. Je ne vous renverrai plus méchamment, comme j'ai fait, à cette petite Charlotte, qui vous ennuierait promptement; mais à quelque divine jeune fille digne de vous. Si j'étais à vous, je vous ferais manquer votre vie. Il y aurait chez vous manque de foi, de constance, ou vous auriez alors l'intention de me vouer toute votre existence je suis franche, je la prendrais, je vous emmènerais je ne sais où, loin du monde; je vous rendrais fort malheureux, je suis jalouse, je vois des monstres dans une goutte d'eau, je suis au désespoir de misères dont beaucoup de femmes s'arrangent; il est même des pensées inexorables qui viendraient de moi, non de vous, et qui me blesseraient à mort. Quand un homme n'est pas à la dixième année de bonheur aussi respectueux et aussi délicat qu'à la veille du jour où il mendiait une faveur, il me semble un infâme et m'avilit à mes propres yeux! un pareil amant ne croit plus aux Amadis et aux Cyrus de mes rêves. Aujourd'hui, l'amour pur est une fable, et je ne vois en vous que la fatuité d'un désir à qui sa fin est inconnue. Je n'ai pas quarante ans, je ne sais pas encore faire plier ma fierté sous l'autorité de l'expérience, je n'ai pas cet amour qui rend humble, enfin je suis une femme dont le caractère est encore trop jeune pour ne pas être détestable. Je ne puis répondre de mon hu

meur, et chez moi la grâce est tout extérieure. Peut-être n'ai-je pas assez souffert encore pour avoir les indulgentes manières et là tendresse absolue que nous devons à de cruelles tromperies. Le bonheur a son impertinence, et je suis très impertinente. Camille sera toujours pour vous une esclave dévouée, et je serais un tyran déraisonnable. D'ailleurs, Camille n'a-t-elle pas été mise auprès de vous par votre bon ange pour vous permettre d'atteindre au moment où vous commencerez la vie que vous êtes destiné à mener, et à laquelle vous ne devez pas faillir? Je la connais, Félicité! ša tendresse est inépuisable; elle ignore peut-être les grâces de notre sexe, mais elle déploie cette force féconde, ce génie de la constance et cette noble intrépidité qui fait tout accepter. Elle vous mariera, tout en souffrant d'horribles douleurs; elle saura vous choisir une Béatrix libre, si c'est Béatrix qui répond à vos idées sur la femme et à vos rêves; elle vous aplanira toutes les difficultés de votre avenir. La vente d'un arpent de terre qu'elle possède à Paris dégagera vos propriétés en Bretagne, elle vous instituera son héritier, n'a-t-elle pas déjà fait de vous un fils d'adoption? Hélas! que puis-je pour votre bonheur? rien. Ne trahissez donc pas un amour infini qui se résout aux devoirs de la maternité. Je la trouvé bien heureuse, cette Camille !... L'admiration que vous inspire la pauvre Béatrix est une de ces peccadilles pour lesquelles les femmes de l'âge de Camille sont pleines d'indulgence. Quand elles sont sûres d'être aimées, elles pardonnent à la constance une infidélité, c'est même chez elles un de leurs plus vifs plaisirs que de triompher de la jeunesse de leurs rivales. Camille est au-dessus des autres femmes; ceci ne s'adresse point à elle, je ne le dis que pour rassurer votre conscience. Je l'ai bien étudiée, Camille, elle est à mes yeux une des plus grandes figures de notre temps. Elle est spirituelle et bonne, deux qualités presque inconciliables chez les femmes; elle est généreuse et simple, deux autres grandeurs qui se trouvent rarement ensemble. J'ai vu dans le fond de son cœur de sûrs trésors, il semble que Dante ait fait pour elle dans son Paradis la belle strophe sur le bonheur éternel qu'elle vous expliquait l'autre soir et qui finit par Senza brama sicura richezza. Elle me parlait de sa destinée, elle me racontait sa vie en me prouvant que l'amour, cet objet de nos vœux et de nos rêves, l'avait toujours fuiė, et je lui répondais qu'elle me paraissait démontrer la difficulté d'appareiller les choses sublimes et qui explique bien des malheurs.

Vous êtes une de ces âmes angéliques dont la sœur paraît impossible à rencontrer. Ce malheur, mon cher enfant, Camille vous l'évitera; elle vous trouvera, dût-elle en mourir, une créature avec la quelle vous puissiez être heureux en ménage.

» Je vous tends une main amie, et compte, non pas sur votre cœur, mais sur votre esprit, pour nous trouver maintenant ensem ble comme un frère et une sœur, et terminer là notre corres pondance, qui, des Touches à Guérande, est chose au moins bi

zarre.

» BEATRIX DE Casteran.

Émué au dernier point par les détails et par la marche 'des amours de son fils avec la belle Rochegude, la baronne ne put rester dans la salle où elle faisait sa tapisserie en regardant Calyste à cha→ que point, elle quitta son fauteuil et vint auprès de lui d'une manière à la fois humble et hardie. La mère eut en ce moment la grâce d'une courtisane qui veut obtenir une concession.

-Eh! bien, dit-elle en tremblant, mais sans positivement de mander la lettre.

Calyste lui montra le papier et le lui lut. Ces deux belles âmes, si simples, si naïves, ne virent dans cette astucieuse et perfide réponse aucune des malices et des piéges qu'y avait mis la marquise.

C'est une noble et grande femme ! dit la baronne dont les yeux étaient humides. Je prierai Dieu pour elle. Je ne croyais pas qu'une mère pût abandonner son mari, son enfant, et conserver tant de vertus! Elle est digne de pardon.

- N'ai-je pas raison de l'adorer? dit Calyste.

Mais où cet amour te mènera-t-il? s'écria la baronne. Ah! mon enfant, combien les femmes à sentiments nobles sont dangereuses! Les mauvaises sont moins à craindre. Épouse Charlotte de Kérgarouët, dégage les deux tiers des terres de ta famille. En vendant quelques fermes, mademoiselle de Pen-Hoël obtiendra ce grand résultat, et cette bonne fille s'occupera de faire valoir tes biens. Tu peux laisser à tes enfants un beau nom, une belle for

tune...

Oublier Béatrix?... dit Calyste d'une voix sourde et les yeux fixés en terre.

Il laissa la baronne et remonta chez lui pour répondre à la mar

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