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le roi Ferdinand, qui venge une vieille inimitié. Le duc a fait une faute immense en acceptant le ministère constitutionnel avec Valdez. Heureusement, il s'est sauvé de Cadix avant l'entrée de monseigneur le duc d'Angoulême, qui, malgré sa bonne volonté, ne l'aurait pas préservé de la colère du roi.

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Cette réponse, que le vicomte de Vandenesse m'a rapportée textuellement, m'a donné beaucoup à penser. Je ne puis dire en quelles anxiétés j'ai passé le temps jusqu'à ma première leçon, qui a eu lieu ce matin. Pendant le premier quart d'heure de la leçon, je me suis demandé, en l'examinant, s'il était duc ou bourgeois, sans pouvoir y rien comprendre. Il semblait deviner mes pensées à mesure qu'elles naissaient et se plaire à les contrarier. Enfin je n'y tins plus, je quittai brusquement mon livre en interrompant la traduction que j'en faisais à haute voix, je lui dis en espagnol : Vous nous trompez, monsieur. Vous n'êtes pas un pauvre bourgeois libéral, vous êtes le duc de Soria? Mademoiselle, répondit-il avec un mouvement de tristesse, malheureusement, je ne suis pas le duc de Soria. Je compris tout ce qu'il mit de désespoir dans le mot malheureusement. Ah! ma chère, il sera, certes, impossible à aucun homme de mettre autant de passion et de choses dans un seul mot. Il avait baissé les yeux, et n'osait plus me regarder. Monsieur de Talleyrand, lui dis-je, chez qui vous avez passé les années d'exil, ne laisse d'autre alternative à un Hénarez que celle d'être ou duc de Soria disgracié ou domestique. Il leva les yeux sur moi, et me montra deux brasiers noirs et brillants, deux yeux à la fois flamboyants et humiliés. Cet homme m'a paru être alors à la torture. Mon père, dit-il, était en effet serviteur du roi d'Espagne. Griffith ne connaissait pas cette manière d'étudier. Nous faisions des silences inquiétants à chaque demande et à chaque réponse. Enfin, lui dis-je, êtes-vous noble ou bourgeois ? Vous savez, mademoiselle, qu'en Espagne tout le monde, même les mendiants, sont nobles. Cette réserve m'impatienta. J'avais préparé depuis la dernière leçon un de ces amusements qui sourient à l'imagination. J'avais tracé dans une lettre le portrait idéal de l'homme par qui je voudrais être aimée, en me proposant de le lui donner à traduire. Jusqu'à présent j'ai traduit de l'espagnol en français, et non du français en espagnol; je lui en fis l'observation, et priai Griffith de me chercher la dernière lettre que j'avais reçue d'une de mes amies. Je verrai, pensais-je, à l'effet que lui

COM. HUM. T. II.

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fera mon programme, quel sang est dans ses veines. Je pris le papier des mains de Griffith en disant : Voyons si j'ai bien copié? car tout était de mon écriture. Je la lui tendis, et l'examinai pendant qu'il lisait ceci.

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« L'homme qui me plaira, ma chère, devra être rude et or>> gueilleux avec les hommes, mais doux avec les femmes. Son regard d'aigle saura réprimer instantanément tout ce qui peut » ressembler au ridiculę. Il aura un sourire de pitié pour ceux qui » voudraient tourner en plaisanterie les choses sacrées, celles sur» tout qui constituent la poésie du cœur, et sans lesquelles la vie ne >> serait plus qu'une triste réalité. Je méprise profondément ceux qui voudraient nous ôter la source des idées religieuses, si fertiles >> en consolations. Aussi, ses croyances devront-elles avoir la sim» plicité de celles d'un enfant unie à la conviction inébranlable d'un » homme d'esprit qui a approfondi ses raisons de croire. Son esprit, » neuf, original, sera sans affectation ni parade: il ne peut rien dire qui soit de trop ou déplacé; il lui serait aussi impossible » d'ennuyer les autres que de s'ennuyer lui-même, car il aura dans » son âme un fonds riche. Toutes ses pensées doivent être d'un » genre noble, élevé, chevaleresque, sans aucun égoïsme. En toutes » ses actions, on remarquera l'absence totale du calcul ou de » l'intérêt. Ses défauts proviendront de l'étendue même de ses » idées, qui seront au-dessus de son temps. En toute chose, je dois » le trouver en avant de son époque. Plein d'attentions délicates » dues aux êtres faibles, il sera bon pour toutes les femmes, mais >> bien difficilement épris d'aucune il regardera cette question » comme beaucoup trop sérieuse pour en faire un jeu. Il se pour» rait donc qu'il passât sa vie sans aimer véritablement, en mon>> trant en lui toutes les qualités qui peuvent inspirer une passion profonde. Mais s'il trouve une fois son idéal de femme, celle »> entrevue dans ces songes qu'on fait les yeux ouverts; s'il rencontre » un être qui le comprenne, qui remplisse son âme et jette sur » toute sa vie un rayon de bonheur, qui brille pour lui comme une » étoile à travers les nuages de ce monde si sombre, si froid, si >> glacé ; qui donne un charme tout nouveau à son existence, et » fasse vibrer en lui des cordes muettes jusque-là, crois inutile » de dire qu'il saura reconnaître et apprécier son bonheur. Aussi la rendra-t-il parfaitement heureuse. Jamais, ni par un mot, ni par

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» un regard, il ne froissera ce cœur aimant qui se sera remis en ses » mains avec l'aveugle amour d'un enfant qui dort dans les bras de » sa mère; car si elle se réveillait jamais de ce doux rêve, elle au» rait l'âme et le cœur à jamais déchirés: il lui serait impossible de » s'embarquer sur cet océan sans y mettre tout son avenir.

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>> Cet homme aura nécessairement la physionomie, la tournure, » la démarche, enfin la manière de faire les plus grandes comme les plus petites choses, des êtres supérieurs qui sont simples et sans » apprêt. Il peut être laid; mais ses mains seront belles ; il aura la » lèvre supérieure légèrement relevée par un sourire ironique et dédaigneux pour les indifférents; enfin il réservera pour ceux qu'il » aime le rayon céleste et brillant de son regard plein d'âme. »

Mademoiselle, me dit-il en espagnol et d'une voix profon dément émue, veut-elle me permettre de garder ceci en mémoire d'elle? Voici la dernière leçon que j'aurai l'honneur de lui donner, et celle que je reçois dans cet écrit peut devenir une règle éternelle de conduite. J'ai quitté l'Espagne en fugitif et sans argent; mais, aujourd'hui, j'ai reçu de ma famille une somme qui suffit à mes besoins. J'aurai l'honneur de vous envoyer quelque pauvre Espagnol pour me remplacer. Il semblait ainsi me dire: Assez joué comme cela. Il s'est levé par un mouvement d'une incroyable dignité, et m'a laissée confondue de cette inouïe délicatesse chez les hommes de sa classe. Il est descendu, et a fait demander à parler à mon père. Au dîner, mon père me dit en souriant: Louise, vous avez reçu des leçons d'espagnol d'un ex-ministre du roi d'Espagne et d'un condamné à mort. Le duc de Soria, lui dis-je. Le duc! me répondit mon père. Il ne l'est plus, il prend maintenant le titre de baron de Macumer, d'un fief qui lui reste en Sardaigne. Il me paraît assez original. Ne flétrissez pas de ce mot qui, chez vous, comporte toujours un peu de moquerie et de dédain, un homme qui vous vaut, lui dis-je, et qui, je crois, a une belle âme. Baronne de Macumer? s'écria mon père en me regardant d'un air moqueur. J'ai baissé les yeux par un mouvement de fierté.

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Mais, dit ma mère, Hénarez a dû se rencontrer sur le perron avec l'ambassadeur d'Espagne?-Oui, a répondu mon père: l'ambassadeur m'a demandé si je conspirais contre le roi son maître; mais il a salué l'ex-grand d'Espagne avec beaucoup de déférence, en se mettant à ses ordres.

Ceci, ma chère madame de l'Estorade, s'est passé depuis quinze jours, et voilà quinze jours que je n'ai vu cet homme qui m'aime, car cet homme m'aime. Que fait-il? Je voudrais être mouche, souris, moineau. Je voudrais pouvoir le voir, seul, chez lui, sans qu'il m'aperçût. Nous avons un homme à qui je puis dire: Allez mourir pour moi!... Et il est de caractère à y aller, je le crois du moins. Enfin, il y a dans Paris un homme à qui je pense, et dont le regard m'inonde intérieurement de lumière. Oh! c'est un ennemi que je dois fouler aux pieds. Comment, il y aurait un homme sans lequel je ne pourrais vivre, qui me serait nécessaire! Tu te maries et j'aime! Au bout de quatre mois, ces deux colombes qui s'élevaient si haut sont tombées dans les marais de la réalité.

Dimanche.

Hier, aux Italiens, je me suis sentie regardée, mes yeux ont été magiquement attirés par deux yeux de feu qui brillaient comme deux escarboucles dans un coin obscur de l'orchestre. Hénarez n'a pas détaché ses yeux de dessus moi. Le monstre a cherché la seule place d'où il pouvait me voir, et il y est. Je ne sais pas ce qu'il est en politique; mais il a le génie de l'amour.

Voilà, belle Renée, à quel point nous en sommes,

a dit le grand Corneille.

XIII

DE MADAME DE L'ESTORADE A MADEMOISELLE DE CHAulieu.

A la Crampade, février.

Ma chère Louise, avant de t'écrire, j'ai dû attendre ; mais maintenant je sais bien des choses, ou, pour mieux dire, je les ai apprises, et je dois te les dire pour ton bonheur à venir. Il y a tant de différence entre une jeune fille et une femme mariée, que la jeune fille ne peut pas plus la concevoir que la femme mariće ne

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Mes yeux ont été magiquement attirés par deux yeux de feu qui brillaient

comme deux escarboucles dans un coin du parterre.

(MÉMOIRES DE DEUX JEUNES MARIÉES.)

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