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CHAPITRE IV

CONSIDERATIONS SUR LE SECOND SYSTÈME D'INDIFFÉRENCE

OU SUR LA DOCTRINE DE CEUX QUI, TENANT POUR DOUTEUSE LA VÉRITÉ

. DE TOUTES LES RELIGIONS POSITIVES,

CROIENT QUE CHACUN DOIT SUIVRE CELLE OIL EST NÉ,

ET NE RECONNOISSENT DE RELIGION INCONTESTABLEMENT VRAIE QUE LA RELIGION

NATURELLE.

Les conséquences pernicieuses du système précédent, et les absurdités dont il abonde, en portant quelques philosophes à le modifier, ont fait naître une nouvelle théorie de l'indifférence. Moins hardie que la première, sans être plus satisfaisante, on verra bientôt qu'elle ne sauroit soutenir le plus léger examen. On ne concevroit même pas l'illusion qu'elle produit sur certains esprits, si l'on ne savoit d'ailleurs avec quelle humiliante facilité l'homme admet toutes les opinions qui flattent ses préjugés et favorisent ses penchants.

Le plus habile défenseur de la doctrine que je vais combattre est sans contredit J. J. Rousseau. Je ne saurois donc mieux faire que d'emprunter ses propres paroles pour l'exposer. Outre que cette méthode sera moins

ESSAI SUR L'INDIFFÉRENCE EN MATIÈRE DE RELIGION. 83

sèche qu'une simple analyse, elle écartera tout soupçon d'infidélité de ma part.

Montrons d'abord en quoi les principes de Rousseau diffèrent de ceux des philosophes réfutés dans les chapitres précédents. Ce rapprochement aidera le lecteur à se former des uns et des autres une idée nette et précise.

Le système des indifférents politiques renferme l'athéisme, et renverse tous les devoirs et toutes les espérances de l'homme. Rousseau regarde l'existence de Dieu, la spiritualité de l'àme, l'existence d'une vie future, comme autant de dogmes sacrés et de vérités incontestables. Il s'indigne qu'on ose les ébranler. « Fuyez,

dit-il, fuyez ceux qui, sous prétexte d'expliquer la « nature, sèment dans les cours des hommes de désolantes doctrines, et dont le scepticisme apparent est cent fois plus affirmatif et plus dogmatique que le ton « décidé de leurs adversaires. Sous le hautain prétexte « qu'eux seuls sont éclairés, vrais, de bonne foi, ils nous « soumettent impérieusement à leurs décisions tran« chantes, et prétendent nous donner pour les vrais prin

cipes des choses les inintelligibles systèmes qu'ils ont « bâtis dans leur imagination. Du reste, renversant,. dé«truisant, foulant aux pieds tout ce que les hommes << respectent, ils ôtent aux affligés la dernière consolation « de leur misère, aux puissants et aux riches le seul frein de leurs passions; ils arrachent du fond des cœurs le « remords du crime, l'espoir de la vertu, et se vantent « encore d'être les bienfaiteurs du genre humain. Jamais,

disent-ils, la vérité n'est nuisible aux hommes je le <«< crois comme eux, et c'est, à mon avis, une grande « preuve que ce qu'ils enseignent n'est pas la vérité 1. » Selon les indifférents politiques, la Religion et la mo

Émile, t. III, p. 197, édit. de la Haye, 1762.

rale sont des institutions humaines. Rousseau soutient que « les vrais devoirs sont indépendants des institutions « des hommes....., » et que « sans la foi, nulle véritable a vertu n'existe1»: et, comme la vertu est de devoir pour l'homme, il admet « qu'il y a des dogmes que tout << homme est obligé de croire 2: » proposition directe, ment opposée au principe que la Religion n'est nécessaire qu'au peuple.

Rousseau rejette donc le système entier des indifférents politiques. Il le juge comine nous l'avons jugé, tout ensemble faux et nuisible, nuisible, parce qu'il est faux, ce qui suppose qu'en matière de doctrine la vérité est insé. parable de l'utilité, ou, en d'autres termes, que toute doctrine avantageuse au genre humain, et, à plus forte raison, toute doctrine nécessaire, est une doctrine vraie ~. Je prie le lecteur de se souvenir de cette observation.

Jusqu'ici Rousseau n'est que l'organe de la tradition universelle. Sa raison est d'accord avec la raison de tous les peuples, d'accord avec l'expérience, d'accord avec toutes les autorités dignes d'être produites dans une si grande question, et, comme il arrive toujours lorsqu'on suit de pareils guides, fort de l'excellence de sa cause et de l'assentiment des âges, la vérité prend sous sa plume un tel caractère d'évidence, qu'on n'a pas même essayé de répondre à ses arguments.

1 Émile, p. 196, 197.

2 lbid., t. III, p. 187.

5 L'auteur athée du Système de la Nature avoue que la vérité ne peut jamais être nuisible. « La vérité, dit-il, peut bien nuire à celui « qui l'annonce, mais nulle vérité ne peut nuire au genre humain. ›› Syst. de la Nat., t. II, chap. xi, p. 384, not.) Et encore : « Ce qui « est faux ne peut être utile aux hommes, ce qui leur nuit constamment «< ne peut être fondé sur la vérité, et doit être proscrit à jamais » Ibid chap. XIV, p. 398.)

Mais, sitôt qu'il commence à n'écouter que son propre esprit, et que, resserré entre le Christianisme où le conduisent ses principes, et les doctrines désolantes qu'il a réfutées si éloquemment, il tâche de se frayer une route. chimérique qui n'aboutisse à aucun de ces deux termes extrêmes, ses idées se troublent, et, s'égarant de sophisme en sophisme, il tombe presque à chaque pas dans de grossières inconséquences, que toutes les subtilités d'une adroite dialectique ne sauroient parvenir à déguiser.

On a vu qu'il convient de la nécessité d'une Religion pour tous les hommes Or, cela posé, que reste-t-il, qu'à se décider entre les diverses Religions, après un examen suffisant pour déterminer un choix que la sagesse puisse avouer! Mais c'est positivement ce que Rousseau ne veut pas. «Si l'on s'égare, dit-il, on s'ôte une grande excuse << au tribunal du souverain Juge. Ne pardonnera-t-il pas « plutôt l'erreur où l'on fut nourri que celle qu'on osa «< choisir soi-même 1? »

Ou ce discours n'a aucun sens, ou l'auteur suppose qu'il existe une Religion véritable; car, s'il n'en existoit point, où seroit le danger de s'égarer en la cherchant ? S'égarer, c'est s'éloigner du but où l'on tend; or, si ce but est imaginaire, comment concevoir qu'on s'en éloigne? S'éloigne-t-on de ce qui n'est pas? Observez d'ailleurs que Rousseau avoue qu'en matière de Religion l'erreur peut être criminelle au yeux du souverain Juge; il faut donc qu'il avoue aussi qu'il existe une Religion vraie ; car, s'il n'y avoit point de vérité, l'erreur seroit inėvitable, et une erreur inévitable n'a besoin ni d'excuse ni de pardon.

De plus, deux doctrines contraires ne pouvant être vraies en même temps, dès qu'il existe une vraie Religion,

Émile, t. III, p. 196.

il ne peut en exister qu'une, et Jean-Jacques l'avoue en termes formels : « Parmi tant de Religions diverses qui «se proscrivent et s'excluent mutuellement, une seule « est la bonne, si tant est qu'une le soit1. » Toutes les Religions, hors une, sont donc fausses nécessairement ; toutes les Religions, hors une, sont donc nuisibles, selon Rousseau, dont j'ai cité plus haut les paroles. Or des Religions nuisibles ne sont certainement pas nécessaires à l'homme si donc une Religion est nécessaire, comme le soutient Rousseau, ce ne peut être que la seule Religion véritable. Par cela même qu'elle est la seule vraie, elle est la seule bonne, la seule nécessaire, la seule qui vienne de Dieu. Or est-il croyable qu'en imposant aux hommes le devoir de la suivre, il leur ait refusé les moyens de la discerner? Cela répugne, et néanmoins il faut que Rousseau le dise, ou qu'il abandonne ses maximes; et il ne peut le dire sans tomber, comme on vient de le voir, dans de palpables contradictions.

Pour sortir d'embarras, il se jette dans des contradictions nouvelles. Il résulte de ses aveux qu'il y a une vraie Religion, et qu'il n'y en a qu'une la conséquence, c'est que tous les hommes sont tenus de l'embrasser. Mais cette conséquence le mènerait directement au Christianisme, qu'il s'efforce de renverser. Que fait-il done? Il prétend qu'on ne sauroit discerner la vraie Religion. Et, comme il reconnoît d'ailleurs la nécessité d'une Religion pour tous les homines, il conseille à chacun de suivre celle où il est né. Dans l'impuissance réelle de découvrir la véritable, ce seroit sans doute le plus sage parti, pourvu qu'elles remplissent toutes l'objet pour lequel Rousseau les juge nécessaires. Or, l'erreur étant, selon lui, essentiellement nuisible, cet objet ne pourroit être rempli

1 Émile, p. 158,

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