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Lignand Library

10-22-31

PRÉFACE.

L'INCREDULITÉ fut le caractère du dernier siècle; le nôtre est le siècle du doute. La raison, épuisée par un long combat contre la foi, n'a pas même la force de nier. Elle se défie également de la vérité et de l'erreur; et parmi les hommes qui ne sont pas chrétiens, ce n'est plus la persuasion, mais les convenances et les intérêts qui déterminent les opinions, et celles même qu'on défend avec le plus de chaleur. On vit dans une sorte de scepticisme pratique, comme s'il n'existoit rien de vrai, ni rien de faux, ou qu'il fût impossible de les discerner. Après avoir tout soumis au raisonnement, fatigué de ses vaines promesses, on a perdu la confiance qu'on avoit en lui. Sur quelque objet que ce soit, la discussion n'est qu'un jeu de l'esprit, ou

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un calcul des passions. On ne parle plus pour convaincre; on n'écoute plus pour s'éclairer, mais pour répondre, ou pour passer le temps. Répandez une vive lumière sur un sujet quelconque, on dira : Cela peut se soutenir. Voilà le plus grand triomphe auquel la logique et l'éloquence puissent prétendre aujourd'hui, et elles le partagent avec le sophisme. Les preuves ne prouvent plus, elles étonnent; les esprits les sentent sans y acquiescer. Une chose dont ils doutoient d'abord, parce qu'elle leur paroissoit obscure, ils en doutent ensuite, parce qu'ils présument qu'avec le temps elle leur paroîtra moins claire : il n'existe pour eux que des apparences.

Cette disposition sceptique, ils la portent principalement dans la religion. Ce ne sont plus ces efforts du raisonnement contre le christianisme, ces argumentations hautaines du dernier siècle. Je ne crois pas, je ne puis croire, voilà maintenant

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le mot avec lequel on répond à tout, l'unique difficulté, l'unique objection, et l'on ne trouve partout que le doute à combattre. Il règne au fond des âmes, il y étouffe l'espérance, le désir même de connoître la vérité; et combien n'avons-nous pas vu d'infortunés de tout âge et de toute condition, l'emporter jusque dans le tombeau!

Frappé des ravages que fait chaque jour cette funeste maladie, nous en avons cherché la cause, et nous avons cru la découvrir dans la philosophie qui, rendant la raison de chaque homme seule juge de ce qu'il doit croire, ne donne aucune base solide à ses croyances, ni aucune règle sûre à ses jugemens; et nous montrons en effet, dans le second volume de l'Essai et dans notre Défense, que cette philosophie a toujours abouti au scepticisme, et qu'elle doit nécessairement y conduire tout esprit qui est conséquent.

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Elle commence par placer l'homme dans un état d'isolement complet; et puis,

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comme nous le montrerons, pour toute règle de certitude, elle lui dit : Tout ce que tu crois fortement étre vrai, est vrai. Dès lors tout est vrai et tout est faux; puisque s'il n'est point de vérité qui n'ait été crue par quelques hommes, il n'est point non plus d'erreur qui n'ait été crue par quelques autres. Mais si tout est vrai et tout est faux, rien n'est faux et rien n'est vrai; et la sagesse consiste dans un doute absolu.

Il n'est donc point d'égarement d'esprit que cette philosophie n'autorise. L'hérésie n'en est qu'une application; elle consacre même la folie; car il n'est pas de fou qui ne doive, d'après ses principes, regarder comme autant de vérités certaines, les rêves de son imagination troublée. En effet, qu'un homme dise : Je suis Descartes; que lui répondra le cartésien? Voyons s'il trouvera dans sa philosophie un moyen de lui prouver qu'il n'est pas Descartes.

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