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montrent pas, clignotants, ébouriffés, hagards, au grand jour de la littérature. L'un de ces pédants grotesques, faiseur d'almanachs à coups de ciseau, se vante d'avoir fait trois classes dans un an sous la direction d'un chanoine; le beau titre, vraiment, pour écrire une année littéraire! Un homme d'esprit peut seul se charger d'une tâche pareille; quant aux pédadogues qui l'ont essayée, qu'ils quittent la plume pour reprendre la férule. ils n'ont rien de commun avec les gens de lettres; qu'ils redeviennent magisters, qu'ils se remettent à tenir classe; là da moins on peut porter les reliques et châtier à son aise ceur qui ont l'audace de rire du porteur'.

Laissons de côté, dans ces lignes, une théorie qui ne se produit pas là pour la première fois on défend outrageusement à tout homme sorti des rangs de l'Université d'aborder la littérature, et particulièrement la critique; comme si les esprits préparés par les plus fortes études devenaient par cela même incapables de traiter les sujets littéraires. Singulière théorie et commode aux littérateurs improvisés, que celle qui aurait jadis exclu de la carrière les Villemain, les Cousin, les Guizot, les Saint-Marc Girardin, les Dubois, les Jouffroy, et qui la fermerait aujourd'hui à des hommes tels que Rigault, J. Simon, Taine, Bersot, Prévost-Paradol, J. J. Weiss, Despois, Deschanel, About, Assollant, et tant d'autres, sortis un jour ou l'autre de l'enseignement public!

Ne voyons que la forme de cet arrêt porté contre les écrivains qui ont un passé universitaire.

Pour un homme qui parle de main légère et de raillerie indulgente, quelle indulgence et quelle légèreté de main! Quelles aménités! Depuis la fameuse scène de Trissotin et Vadius, les gens de lettres devraient bien être guéris de la manie de s'injurier. « Allez, cuistres!» le mot est dans Molière. On a bien raison de dire que la comédie ne corrige personne. Pour moi, je ne suis pas tenté de donner à

1. Siècle du 9 septembre 1861.

M. Taxile Delord la réplique sur un pareil ton. Je ne rendrai au critique du Siècle, ni ses coups de pied ni ses coups de férule. C'est au public de voir lequel mérite toutes ces qualifications, de celui qui les reçoit ou de celui qui les donne. J'ignore également la langue et le chemin du pays de cuistrerie.

La cuistrerie! Il paraît que ce n'est pas encore de nos jours un pays inconnu ou désert. Voilà même que le plus fort pamphlétaire d'entre les journalistes se charge de nous y conduire. C'est M. Louis Veuillot, de l'Univers, l'un des maîtres de la polémique injurieuse, qui, dans ses moments de loisir, a écrit, partie en vers, partie en prose, un Voyage en Cuistrerie, dont il a laissé publier quelques fragments'. Or, il se trouve que M. Taxile Delord est un des principaux indigènes qu'il y rencontre. Si nous ne sommes pas de force à lutter de gros mots contre qui que ce soit, nous pouvons livrer, en toute confiance, même un lutteur émérite aux griffes de M. Veuillot. Ce n'est pas de notre faute s'il en sort tout meurtri. Voici donc quelques vers qui nous disent tout ce qu'il a fallu de peine à l'ancien rédacteur ordinaire du Charivari pour entrer deux fois mois dans les colonnes sérieuses du Siècle.

Fr.... quinquagénaire attend toujours la chance;
Delord crut la tenir. Chez l'eminent Havin
Deux fois par mois il passe un habit d'écrivain,
Et sortant de la farce, il monte à la critique.

Il est posé, gonflé, martelé, didactique;

Pas le plus petit mot pour rire! marchant droit,
Il sue à son sillon comme un boeuf de l'endroit.

On voit qu'en son esprit il nourrit la chimère

De paraître un grand homme aux yeux de Bédollière,
Et que sa vanité maintes fois rumina

D'égaler monsieur Plée ou monsieur Césena.
Lorsqu'il se sentait né pour être redoutable,
Ciel! qu'il a dû souffrir! vingt ans il fit l'aimable,

1. Voir l'Ami des livres du mois d'octobre 1861.

par

Et dans de petits lieux, pour un gage léger,
Aspirant à rugir, il ne put que singer....

Il est homme deux fois par mois, pas davantage!
Havin, cruel Havin, donnez-lui plus d'ouvrage !

. . Et Delord rame inutilement.

Il rira, c'est l'arrêt : tout barbouillé de lie,
Le pauvre homme, il rira tous les jours de sa vie ;
Il rira du talent, de la foi, de l'honneur ;
Il rira, sans succès, du succès........

Aussi rit-il fort mal. Lorsqu'il prend son manteau,
Si toujours un couik rappelle le tréteau,

Sous sa veste, en revanche, et sous sa rouge queue,
Il semble travaillé de la colique bleue;

Il se tord, il blémit; blessé d'un trait profond,
L'homme de vanité pleure dans le bouffon.
Je te comprends, Delord, tu n'es pas à ton aise,
Et je te plains, martyr de la gaieté française !

Tel est, pour le critique, le danger de l'humeur injurieuse. On finit tôt ou tard par rencontrer plus fort que soi; à éreinteur éreinteur et demi. M. Veuillot ne s'est-il pas vu renvoyer à son tour, par M. T. Delord, à l'auteur des Chatiments?

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Oui, oui; je te renvoie à l'auteur des Satires.
Je t'y renvoie aussi.

Mais quelque admiration qu'on puisse avoir pour cette prose si attiquement furieuse qui ne saurait nous atteindre, ou pour la violence de ces vers qui laissent, comme autant de coups de fouet, leurs stigmates, on nous permettra de déplorer, des deux côtés, ces excès et de représenter humblement à nos confrères des grands journaux qu'il y a un milieu entre les complaisances banales de la camaraderie et les emportements de l'esprit de parti ou de la vengeance. La critique, la vraie critique, avec la raison pour règle, le goût et le sentiment du beau pour guides, l'étude et

le savoir pour base, l'alliance de la liberté et de la moralité dans l'art pour dogme, critique indulgente aux hommes, impartiale pour les œuvres, voilà celle que tout littérateur journaliste devrait s'efforcer de pratiquer, et qu'il devrait du moins encourager et applaudir. Nous avions vu avec plaisir M. Taxile Delord lui-même, rendant compte d'un volume de mélanges d'un confrère et ami, le féliciter de ce qu'on ne trouve point en son livre aucun de ces articles appelés en argot de presse des éreintements, ridicules éclats d'une fausse colère, par lesquels tant d'écrivains essayent d'attirer l'attention sur leurs écrits. Nous sommes heureux de reconnaître que les préceptes de M. Taxile Delord valent mieux que ses exemples et de le quitter sur cette bonne impression.

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L'histoire générale de la littérature française. L'austérité
des doctrines classiques: M. D. Nisard.

Parmi les hommes que l'enseignement a pris à la littérature pour se relever et jeter plus d'éclat, il en est deux, MM. D. Nisard et Sainte-Beuve, qui forment entre eux un contraste absolu, une antithèse profonde. Tous deux, membres de l'Académie française, après avoir affronté, on sait avec quelle fortune, l'auditoire orageux du collège de France et de la Sorbonne, ont été attachés à l'enseignement moins périlleux de l'École normale supérieure, soit pour se compléter l'un l'autre, soit pour mieux faire ressortir ce qui manque à chacun d'eux. M. Sainte-Beuve est l'homme du détail, des faits curieux, des anecdotes piquantes, des analyses minutieuses, des rapprochements ingénieux; M. Nisard est l'homme des vues d'ensemble,

des principes généraux, de la synthèse, des affirmations théoriques, du dogmatisme solennel.

Le premier, avec qui nous avons déjà fait ample connaissance', est un esprit souple, ardent, mobile, ondoyant et divers; il multiplie ses études et varie à l'infini les objets de son admiration; il parcourt sans repos tous les genres, toutes les époques; il lit tout, connaît tout, fait tout connaître; il s'attache à toutes les réputations; pèse toutes les gloires, dit son mot sur tous les talents; toutes les lueurs, tous les feux follets l'attirent; il pénètre dans toutes les œuvres, il comprend tous les hommes, il remet toutes les figures dans leur cadre et tous les cadres dans leur milieu historique. Dans ses courses vagabondes, il s'éprend de passion subite pour les objets les plus contraires; il sacrifie à tous les dieux, il en fait lui-même et les sert pour un jour. Comme les Athéniens, il a dédié un autel au dieu inconnu, et c'est son autel favori; il y place chaque matin quelque idole nouvelle, destinée à en descendre, sinon à être brisée le lendemain. Combien de noms, combien d'œuvres, combien de genres ont eu tour à tour dans M. Sainte-Beuve un apologiste fervent, depuis le seizième siècle jusqu'à nos jours, depuis Ronsard ou Balzac jusqu'à Victor Hugo ou Chateaubriand, depuis l'austérité pieuse de Port-Royal, jusqu'au dévergondage du réalisme contemporain !

Tel n'est point M. Nisard. Il représente, en littérature et dans l'enseignement universitaire, la fixité, l'immutabilité des doctrines classiques. Pour lui, la France littéraire n'a qu'une époque, le dix-septième siècle, le grand dix-septième siècle, comme il se plaît à dire. Et ce siècle se résume dans trois ou quatre noms, soit pour la prose, soit pour la poésie; et ces noms se résument eux-mêmes

1. Voy. t. Ier de l'Année littéraire, p. 236-239; t. III, 280-285, 289293, et passim.

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