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sans cesse la raison de différens hommes et souvent celle du même homme soutenir le oui ou le non sur la même chose. Il faut donc lui imposer une règle. Mais où la prendra-t-on cette règle? Dans une raison supérieure ? On n'en veut pas. C'est chaque raison qui se fera ellemême sa règle, adoptant ou rejetant, selon qu'il lui paroîtra convenable, celles qu'on lui propose. Ainsi c'est une raison sujette à errer dans ses jugemens, qui prononce qu'en jugeant d'une certaine manière elle ne pourra jamais errer. Les décisions de la raison empruntent leur certitude de la règle, et la règle emprunte sa certitude des décisions de la raison; expédient ingénieux, par lequel n'obligeant la raison d'obéir qu'à elle-même, on la déclare souveraine, en paroissant la soumettre à une autorité. Cependant examinons quelques-unes des règles à l'aide desquelles la raison faillible des plus célèbres philosophes a cru pouvoir se promettre de devenir infaillible.

L'évidence, voilà, dit Descartes, la lumière qui discerne la vérité de l'erreur dans nos jugemens; une idée claire et distincte ne sauroit nous tromper. Mais d'abord comment Descartes est-il certain qu'une idée claire et distincte ne peut pas le tromper, lui qui ignore encore si Dieu existe, et qui avoue que, si Dieu le vouloit, ses perceptions les plus évidentes ne seroient que des illusions? D'ailleurs, j'admets qu'une évidence véritable ne peut pas tromper; mais comment saurai-je si j'ai cette évidence? Ne me faut-il pas encore un caractère auquel je puisse distinguer l'évidence véritable de celle qui ne seroit qu'apparente?

Ce caractère existe, répondent quelques philosophes.

Si l'évidence produit en vous un sentiment de vérité qui entraîne votre raison d'une manière irrésistible, vous êtes sûr de ne pas vous égarer. Pascal répond : « Tout notre << raisonnement se réduit à céder au sentiment. Mais la « fantaisie est semblable et contraire au sentiment; sem<«< blable, parce qu'elle ne raisonne point; contraire, « parce qu'elle est fausse de sorte qu'il est bien difficile « de distinguer entre ces contraires. L'un dit que mon << sentiment est fantaisie, et que sa fantaisie est senti«< ment, et j'en dis de même de mon côté. On aurait « besoin d'une règle. La raison s'offre ; mais elle est plia«ble à tous sens..... ». Ainsi cette nouvelle règle a besoin d'une autre règle, comme Pascal le prouve; elle est donc insuffisante et inutile. Qui oserait dire effet que la force de la conviction mesure le degré de la certitude? alors il n'y a qu'à avoir un esprit entièrement faux pour pouvoir acquérir la certitude entière de l'erreur.

Aristote vient, et nous montre huit préceptes écrits de sa main ; c'est la loi dernière des esprits, dont l'observation assure l'infaillibilité à notre raison. Les philosophes modernes effacent sept de ces préceptes, et réduisent à une seule toutes les règles du raisonnement. Je demanderai aux philosophes modernes, comme au prince des anciens philosophes, comment je puis m'assurer qu'en observant leurs règles je raisonnerai toujours d'une manière exacte. Par quelques simples raisonnemens, répondent-ils. Mais qui me dit qu'en voulant me prouver les règles du raisonnement il ne m'arrivera de mal raisonner? Et, supposé que je me démontre la certitude de vos règles, suisje certain de les bien appliquer ? N'est-il jamais arrivé

pas

qu'un homme ait fait un mauvais syllogisme en croyant ne manquer à aucune des règle d'Aristote? Qui m'assure que je serai plus heureux ?

Ainsi je ne conteste pas qu'un bon raisonnement ne soit un moyen de certitude; je conteste encore moins que la raison individuelle ne puisse faire des raisonnemens exacts: mais, comme on est aussi forcé d'admettre qu'il peut lui arriver de faire des sophismes, il lui faut une règle qui lui serve à discerner un raisonnement d'un sophisme, de même qu'il ne faut pas conclure, de ce qu'il circule de fausses monnoies, qu'il n'y en a pas de bonnes, mais qu'on risque d'être trompé à chaque moment, s'il n'y a pas un signe qui distingue les pièces véritables. Or, tant qu'on cherche dans la raison la règle de la raison, on est forcé de faire soi-même un fort mauvais raisonnement, un cercle vicieux, puisqu'on ne pourra s'assurer de la règle que par la raison, et de la raison que par la règle. Voilà un inconvénient commun à tous les systèmes des philosophes.

Voici un inconvénient plus grave encore. Si vous placez dans la raison individuelle la règle dernière qui doit diriger la raison de chaque homme, vous vous ôtez tout moyen de redresser une raison qui s'égare. De quel droit voudriez-vous imposer la vérité la plus claire pour vous à une raison à qui vous avez appris à ne rien admettre qui ne soit clair pour elle? Tout homme pourra rejeter les principes les plus incontestables, du moment qu'ils ne lui paroîtront pas suffisamment démontrés. On l'a dit et il est très vrai : « Deux esprits, partant du même point et mar« chant vers le même but, ne sauraient faire quatre pas

sans se séparer >>. Mais si l'on admet le principe des philosophes, il faut désespérer de jamais réunir les esprits opposés. Cette vérité est évidente pour moi, direz-vous. Je réponds qu'à mes yeux elle n'a pas la même évidence; votre raison dit oui, et sur la même question ma raison dit non raison pour raison, l'une vaut bien l'autre ; je laisse la mienne me conduire : deux raisons souveraines ne doivent pas chercher à se faire la loi. Vous laisserez donc dans son erreur cet esprit qui s'égare; ou bien, supposant que ce qui est évident pour vous l'est nécessairement pour tout le monde, vous serez réduit à accuser la bonne foi de tout homme qui ne sera pas de votre avis, et à faire toujours succéder les injures aux raisons, ce qui n'est guère raisonnable.

Eh quoi! n'est-il pas souverainement injuste qu'un esprit foible et borné, après avoir supposé sans raison que son évidence est une lumière infaillible, ose encore défier tous les esprits de dire sans imposture qu'ils ne voient pas comme lui? Non, si vous voulez soumettre ma raison, ce n'est pas ainsi qu'il faut vous y prendre. Montrez-lui dans une raison supérieure une autorité qui lui impose : toute autre règle, j'ai le droit de la rejeter avec mépris.

Au reste, ce qu'on peut conclure de tous les systèmes des philosophes, c'est que tous ont senti le besoin d'une règle qui terminât les querelles des raisons individuelles, en redressant celles qui s'égarent. Mais comment n'ont-ils pas vu qu'il etoit absurde de chercher cette règle dans les raisons opposées, que c'étoit remettre aux parties intéressées le jugement du procès?

La règle qui doit redresser la raison ne peut donc se

trouver que dans une raison supérieure. Quelle est cette raison dont l'autorité seule peut réformer et réforme en effet sans appel les jugemens des raisons individuelles? Ici encore, au lieu de nous jeter dans des systèmes, étudions la nature, ou plutôt la Providence, dans la manière dont elle fixe les esprits dans la certitude.

L'homme, être foible et sujet à errer, trouve au dedans de lui un sentiment de foiblesse qui le porte à se défier de lui-même. De là sa raison, timide, incertaine, lorsqu'elle se voit seule, cherche naturellement un appui dans la raison des autres hommes; les vérités lui inspirent plus ou moins de confiance suivant qu'elle les voit plus généralement admises, et lorsque ses jugemens se trouvent conformes à la manière de juger du plus grand nombre, ils acquièrent à son égard une certitude inébranlable.

De là ce sentiment naturel qui nous porte à nous défier des idées nouvelles qui naissent dans notre esprit. Un homme seul dans la retraite croit découvrir une conséquence importante d'un principe déjà certain pour lui; la clarté avec laquelle cette vérité nouvelle brille à ses yeux entraîne au premier moment, je le veux, l'assentiment de sa raison; mais je le vois revenir bientôt sur un premier jugement, examiner encore. Qu'il rencontre d'autres homil sent le besoin de s'assurer si cette idée, évidente pour lui, les affectera de la même maniere. Sa conviction s'affermit, si elle se trouve conforme à leur conviction; elle diminue, si elle est opposée. Le nombre des témoignages décidera de la confiance que cette idée nouvelle doit lui inspirer; unanimes en sa faveur, ils la lui feront admettre avec une conviction inébranlable; unanimes contre, ils le

mes,

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